L. GACHARD, Les Bibliothèques de Madrid et de l'Escurial, Bruxelles, 1875, p. 248. Lettre de pleins pouvoirs donnés par Philippe IV, le 5 janvier 1645. Ibid., pp. 252-297. Lettres du 29 octobre 1645-26 juin 1648. Ibid., p. 287. Ambassade espagnole AE, reg. 31, fol. 55. Il est à noter que Brun ne figure pas dans la Biographie Nationale. AE, reg. 35, fol. 264. Lettre du secrétaire d'ambassade Richard au secrétaire d'État, Geronimo de la Torre, 22 janvier 1654. S. E. G., reg. 255, fol. 116. Philippe IV à Léopold Guillaume 12 juillet 1653, 26. Léopold Guillaume à Philippe IV, 15 mai 1654. S. E. G., reg. 257, fol. 176. Léopold Guillaume à Philippe IV, 26 juin 1654. S. E. G., reg. 257, fol. 235.
On connaît le célèbre traité de Munster, signé le 30 janvier 1648 par les délégués du roi d'Espagne Philippe IV et les représentants des États-Généraux des Provinces-Unies. Cet
instrument diplomatique consacrait le morcellement des Pays-Bas, l'indépendance absolu des provinces du Nord, la fermeture de l'Escaut, l'abandon par l'Espagne de tous les territoires conquis
par les Hollandais depuis la reprise des hostilités en 1621. Ses stipulations draconiennes illustraient, de manière saisissante la faillite de la politique suivie par le Roi catholique et
inspirée par son ministre, le comte-duc d'Olivarès. Elles faisaient voir toute l'immensité de l'erreur commise par eux, en refusant, vingt ans auparavant, de se rendre aux suggestions des
Archiducs et d'Ambroise Spinola et de renouveler la trêve de XII ans.
C'est alors que fut établie à La Haye une légation espagnole, qui subsista pendant un peu plus d'un demi-siècle et disparut en 1702, au début de la guerre de succession d'Espagne.
Elle eut comme premier titulaire un jurisconsulte francomtois, Antoine Brun. Né à Dole en 1600, il avait débuté dans la magistrature, comme procureur général du parlement établi dans sa
vile natale. Philippe IV l'appela à Madrid pour faire partie du Conseil suprême de Flandre et de Bourgogne. En 1645 il fut design comme membre de la délégation espagnole, chargée de négocier
à Munster la paix avec le roi de France et ses alliés. Cette délégation avait pour chefs deux personnalités marquantes de la diplomatie espagnole, le duc Medina de las Torres, Ramiro Nunez de
Guzman, et le comte de Penaranda, Gaspar de Bracamonte, l'un et l'autre ambassadeurs à Vienne. Elle comprenait, en outre, l'évêque de Bois-le-Duc, élu archevêque de Cambrai, Joseph Bergaine,
un conseiller du Conseil des Indes, Diego de Savedra Fajardo, et Brun
. En fait ce dernier et Penaranda furent les négociateurs, principaux. Ils échouèrent dans leur mission primordiale, la réconciliation avec la France, mais réussirent - au prix de
concessions déplorables - à détacher les Hollandais de l'alliance française. Eux seuls signèrent, au nom de Philippe IV le traité du 30 janvier 1648.
Les talents manifestés par Brun au cours de ces longues tractations et dont Penaranda fait l'éloge, à diverses reprises, dans sa correspondance avec Philippe IV
l'avaient sans doute mis en vedette. Trois mois à peine après la ratification du traité, le Roi le désignait pour prendre la direction de l'ambassade à établir à La Haye. À cette
occasion, Brun rédigea un mémoire qui peut être considéré comme le programme de son activité diplomatique et pose les principes dont devaient s'inspirer tous ses successeurs
. Il insistait sur la nécessité d'un traité d'alliance entre le roi d'Espagne et les États Généraux et l'opportunité d'une réconciliation particulière avec le prince d'Orange, qu'on
chercherait à s'attirer par l'octroi de faveurs.
Ce n'est que vers le milieu de 1649 que Brun rejoignit son poste à La Haye. Son premier rapport date du 29 juin
. Il y demeura près de cinq ans, paraissant jusqu'au bout avoir donné satisfaction au gouvernement de Madrid. En 1653 Philippe IV l'éleva à la dignité de second chef du Conseil des
Finances des Pays-Bas. Il observait, à ce propos, que c'était là un poste réservé jusqu'ici à un représentant de la première noblesse belge. Pour éviter toute contestation de ce chef, on
érigerait en baronnie une terre possédée, par l'ambassadeur, qui méritait, à tout point de vue, la faveur qu'on voulait lui faire
. Brun mourut à La Haye au début de l'année 1654
.
La gestion des affaires fut confiée ad intérim au secrétaire d'ambassade, Vincent Richard. Au mois de mai 1654 l'archiduc Léopold-Guillaume, gouverneur général des Pays-Bas, insistait
auprès de Philippe IV sur la nécessité de designer un nouvel ambassadeur
. Peu après il discutait les diverses candidatures proposées et indiquait, comme la personnalité la plus appropriée, celle d'un officier supérieur de l'armée espagnole des Pays-Bas,
Esteban de Gamarra. Il ajoutait que les Belges n'aimaient pas de voir des Bourguignons occuper les postes importants, eux qui ne connaissaient ni les lois ni les coutumes du pays. Gamarra
avait servi pendant de longues années aux Pays-Bas et possédait les connaissances linguistiques nécessaires
. Philippe IV se laissa convaincre et, le 3 septembre 1654 le nouvel ambassadeur adressait son premier rapport à la Cour. On n'aurait pas de peine à retracer la biographie de Gamarra,
grâce aux détails qu'on peut relever, à son sujet, dans la correspondance échangée entre les gouvernements de Madrid et de Bruxelles. Contentons-nous de signaler, qu'au moment de sa
désignation, Gamarra était châtelain et gouverneur de la place forte de Gand. Il en conserva le titre et les appointements pendant toute la durée de son séjour à La Haye.
De tous les agents diplomatiques qui représentèrent le roi d'Espagne auprès du gouvernement hollandais, Gamarra est celui qui fit la plus longue carrière. Son séjour à La Haye dura plus
de seize ans. Il fut désigne, à un moment donné, pour passer, en qualité d'ambassadeur, à Paris, mais il déclina cette promotion. Par un décret de Philippe IV, date du 4 février 1663, il
reçut le titre de conseiller de cape et d'épée du Conseil suprême de Flandre et de Bourgogne. À la reine régente, Marie-Anne d'Autriche qui depuis la mort de Philippe IV (17 septembre 1665)
administre la monarchie au nom de son fils Charles II, Gamarra expose le 8 avril 1670, qu'il à plus de cinquante années de services, qu'il a été gravement malade et ne voudrait pas mourir au
milieu de ces hérétiques. Deux mois après, il renouvelait ses instances. Le 13 octobre de la même année, la reine-régente lui faisait savoir qu'elle avait désigne Manuel Francisco de Lira
pour le remplacer et que ce dernier rejoindrait son poste sans tarder. Gamarra mourut au mois d'août 1671, tandis que son successeur désigne était encore en route.
Manuel Francisco de Lira, madrilène de naissance, neveu du secrétaire d'État Geronimo de la Torre, était introducteur des ambassadeurs à la Cour de Madrid. Il garda ce titre pendant
toute la durée de sa mission auprès du gouvernement des Provinces-Unies. Gamarra, informé de la désignation de son successeur, déclara, que le choix était excellent. Le nouveau diplomate
connaissait le néerlandais et serait ainsi dispensé de se servir d'interprètes. Lira quitta la Péninsule au début de 1671 et s'en alla à Bruxelles, prendre des informations détaillées auprès
du Gouverneur général des Pays-Bas, comte de Monterey. C'est là que l'atteignit la nouvelle du décès de son prédécesseur. Force lui fut alors de hâter son départ. Le 8 septembre 1671, il
annonçait Madrid qu'il était entre en fonctions et venait de recevoir sa première audience. Le nouveau titulaire de la légation hollandaise n'avait que le rang d'envoyé extraordinaire. Il
conserva ses fonctions quelque huit ans. En 1679 il fut rappelé à la Cour et mis à la tête de la secrétairerie des affaires d'Italie. Il fit dans la suite brillante carrière ; successivement
membre du Conseil des Indes, secrétaire d'État pour la dépêche universelle, il finit par être disgracié à la suite d'une de ces intrigues de couloir qui résument l'histoire de la Cour de
Madrid, sous le règne du malheureux Charles II.
Les trois derniers titulaires ont un trait commun qui les différencie de leurs prédécesseurs : ce sont des diplomates de carrière.
Lors du rappel de Lira, le gouvernement espagnol transféra à La Haye, Balthasar de Fuenmayor, qui depuis cinq ans était accrédité comme envoyé extraordinaire à la Cour de Copenhague. Il
vint prendre possession de ses nouvelles fonctions au mois de septembre de la même année. Sa mission à La Haye se prolongea pendant cinq ans environ. Depuis 1682, il porte le titre de marquis
de Castel-Moncayo. Au mois de février 1684, à la suite de la mort de sa femme, on le voit solliciter du Roi la permission de rentrer en Espagne. La nécessité d'assurer l'éducation de ses
enfants et de mettre ordre à ses affaires personnelles sont les motifs allégués dans une série d'instances qui se répètent, pendant les trois premiers trimestres de l'année et se font de plus
en plus pressantes. A l'heure actuelle, déclare-t-il le 11 juillet, la présence à La Haye d'un ministre espagnol n'est plus nécessaire ; au besoin un résident ou un secrétaire d'ambassade
peut suffire. On n'aura pas de peine à découvrir à Bruxelles, un Espagnol capable de se tirer d'affaires. Autrefois il se lamente sur la détresse dans laquelle il se débat, partageant ainsi
l'infortune générale de tous ceux qui se trouvaient au service du roi catholique.
La correspondance de Fuenmayor ne s'étend guère au-delà de septembre 1687. L'ambassade demeura alors vacante, plusieurs années et fut laissée au soin d'agents intérimaires. Le 12 juin
1686, le Gouverneur général des Pays-Bas, marquis de Gastanaga faisait savoir à Madrid que conformément à un ordre antérieur du Roi, il avait désigne Louis-Antoine de Claris, comte de
Clermont, audiencier et premier secrétaire du Conseil d'État des Pays-Bas, pour gérer les affaires de l'ambassade, en attendant que le nouveau titulaire put se rendre à son poste.
À la même époque Gastanaga était en correspondance régulière avec Louis Felix de Longas, ancien consul d'Espagne à Middelbourg, qui avait servi de secrétaire d'ambassade à Fuenmayor et
exerça encore les mêmes fonctions auprès du successeur de ce dernier, Manuel Coloma. Manuel Coloma était sans doute proche parent du secrétaire d'État de Charles II, Pedro Coloma. Gentilhomme
de la chambre de Charles II, capitaine général de l'artillerie espagnole, membre des Conseils de Castille et des Ordres, Manuel Coloma, fit partie pendant plus de vingt ans du personnel
diplomatique. En 1677 il fut désigné pour diriger la légation espagnole de Gênes et il y resta jusqu'en 1684. Il retourna alors à Madrid, ou il séjourna jusqu'au moment de sa nomination comme
ambassadeur à La Haye. Au mois de juillet 1687, il prit contact avec le gouvernement des Provinces-Unies, auprès duquel il demeura accrédité pendant un peu plus de quatre ans. En août 1691,
décéda à Londres, l'ambassadeur espagnol accrédité auprès de la Cour britannique, Pedro Ronquillo. Immédiatement Charles II désigna Coloma pour le remplacer et lui fit notifier cette nouvelle
promotion par son secrétaire d'État, Crispin Botello. Autour de la dernière partie de sa carrière diplomatique, Coloma est connu sous le titre de marquis de Canalès.
Le dernier titulaire de l'ambassade espagnole de La Haye est Francisco-Bernard de Quiros. Diplomate de carrière, il avait représenté le roi d'Espagne auprès du Saint-Siège de 1682 à
1687. Il était membre des Conseils de Castille et des Ordres, tout comme son prédécesseur Coloma. Désigné pour remplacer ce dernier, il dut se trouver dans l'impossibilité de prendre
possession de ses fonctions et, en attendant, Charles II se fit représenter à La Haye par le même Balthasar de Fuenmayor, qui avait précédé Coloma et porte maintenant le titre de marquis de
Castel-Moncayo. Son séjour est essentiellement transitoire, ainsi qu'il résulte de l'intitulé même des lettres que le Roi lui adresse. Arrive à La Haye, au début de 1692, il quitte déjà la
capitale hollandaise le 26 août de la même année, muni d'une lettre de recommandation des États Généraux pour l'Électeur de Bavière, alors gouverneur général des Pays-Bas.
Dans la série des ambassadeurs de La Haye Quiros occupe une place marquante.
Désigné d'abord comme envoyé extraordinaire, il fut promu ultérieurement au rang d'ambassadeur. La durée de son séjour à La Haye est de près de dix ans ; elle dépasse celle de tous ses
prédécesseurs, exception faite du seul Gamarra. Elle se subdivise en deux parties. Pendant la première il est le représentant de Charles II, qui parait lui avoir témoigne toujours la plus
entière satisfaction, ainsi qu'il résulte de plusieurs lettres royales. Depuis le milieu de 1700, la correspondance de l'ambassadeur révèle de vives appréhensions en vue de l'éventualité d'un
partage de la monarchie espagnole, à la mort du roi Charles II. On sait que ce malheureux décéda le 1er novembre 1700. Quiros fit incontinent acte de soumission à Philippe V et fut confirmé
par ce dernier dans ses fonctions de représentant du gouvernement espagnol à La Haye. C'est lui qui fit part aux États Généraux de la mort de Charles II, de son testament, de l'accession du
duc d'Anjou à la couronne d'Espagne. Son séjour dans la capitale hollandaise se prolongea encore pendant plus d'un an. Ses dernières lettres sont remplies d'informations sur la crise
européenne, dont devait sortir la guerre de succession d'Espagne, le retard des Hollandais à reconnaître Philippe V, les intrigues impériales et anglaises, les préparatifs militaires. La
rupture fut consommée en juillet 1702 ; Quiros quitta alors le territoire des Provinces-Unies.
La direction de la légation espagnole de Hollande ne fut, à aucun moment, une sinécure ni même un poste de repos. Les relations diplomatiques entre les gouvernements de Madrid et de La
Haye demeurèrent, pendant la seconde moitié du XVIIIe siècle extrêmement suivies et causèrent à Brun et à ses successeurs des tracas et des préoccupations multiples.
Depuis la paix de Munster, les Hollandais qui avaient contribué, pour une part si considérable, à l'affaiblissement de la puissance espagnole, firent volte-face et se constituèrent les
défenseurs les plus décidés de ce qui restait de la monarchie catholique. La crainte que leur causait, à bon droit, le développement ininterrompu de la France, la politique impérialiste de
Louis XIV, le danger qui en résultait pour leur propre indépendance devaient fatalement rapprocher les États Généraux de la Cour de Madrid. On l'a rappelé ci-dessus au moment même où
s'établit la légation de La Haye Antoine Brun préconise déjà la conclusion d'une alliance hispano-hollandaise. Le projet se réalisa dès la mort de Philippe IV. Pendant tout le règne de
Charles II la communauté d'action avec la Hollande fut le pivot de la politique espagnole. Durant les guerres successives de Dévolution (1665-1668) de Hollande (1672-1684) de la ligue
d'Augsbourg (1688-1697) les forces hollandaises combattirent, cote à cote, avec les débris de l'armée espagnole. De longues négociations préludèrent à cette alliance, de multiples tractations
furent nécessaires pour déterminer les modalités de la coopération militaire et maritime, l'intervention des autres puissances liguées contre la France. l'Empire, l'Angleterre, la Suède, la
direction des opérations militaires, la préparation des traites de paix. Ce furent des palabres sans fin, toujours de mise entre allies multiples à intérêts souvent divergents. Tout cela
requit l'intervention incessante de Gamarra, Lira et consorts et alimenta leurs correspondances. C'est à La Haye qu'eurent lieu toutes les tractations décisives, la Hollande constituant le
noyau des coalisions contre Louis XIV.
Entre la monarchie espagnole et les Provinces Unies, les Pays-Bas catholiques constituaient un trait d'union, à la fois géographique, politique et économique. Le traité de Munster
n'avait résolu que de façon partielle les limites respectives des deux possessions. Il avait cherché à résoudre l'épineuse question religieuse, après des pourparlers interminables, au cours
desquels les États Généraux et Philippe IV avaient manifesté une égale obstination et qui s'étaient terminés par la victoire complète de la République. Celle-ci avait obtenu ce qu'elle
voulait : la suprématie absolue sur son propre territoire et l'obligation pour le roi d'Espagne de consentir à une tolérance, au moins tacite, du protestantisme dans les Pays-Bas. L'Escaut
restait fermé. On avait voulu dissiper les inquiétudes, que faisait naître, chez les armateurs et négociants d'Amsterdam, de Rotterdam et de Flessingue, la résurrection possible d'Anvers.
Bien plus, il fallait que Nieuport et Ostende fussent condamnés à végéter au profit des ports néerlandais. Pour réaliser ces vues, on avait force le roi d'Espagne d'établir l'entrée et à la
sortie de la Flandre les mêmes taxes que l'on exigeait sur l'Escaut et les canaux voisins.
Encore que le traité ait été si favorable aux Provinces-Unies, il ne laissa pas d'y faire naître de vives controverses. Dès l'abord on s'aperçut que son application amènerait des
conflits. La question religieuse, en particulier, devait donner lieu à des tiraillements multiples. L'histoire de ces contestations a fait l'objet d'un ample mémoire, dû à l'éminent
historien, E. Hubert et basé sur l'étude des archives conservées, dans les deux pays. Nous n'avons pas à y revenir, sinon pour rappeler que ce fut pour Brun, Gamarra et leurs successeurs, une
seconde source de travaux et de tribulations. Entre eux et les agents du gouvernement-général des Pays-Bas s'établirent, de par la force des choses, des relations très étroites. Des
correspondances volumineuses et incessantes s'échangeaient avec les Gouverneurs Généraux et leurs principaux subalternes. Avant de prendre possession de leur charge, Gamarra, Lira et autres
faisaient un séjour à Bruxelles, pour y recevoir des instructions verbales. Bien plus, il est avéré que certains ambassadeurs espagnols de La Haye sont intervenus même dans la politique
interne du Gouvernement des Pays-Bas. Bernard de Quiros fut le chef incontesté du parti des Malcontents, faisant opposition ouverte au gouverneur-général, Maximilien-Emmanuel de Bavière.
L'histoire de ce conflit retentissant se retrouve dans l'étude de M. Van Kalken. On y cite, notamment, un mémoire justificatif de Quiros, proclamant en principe le droit des ambassadeurs de
surveiller les Gouverneurs Généraux. M. van Kalken, à la suite de M. Lonchay, à cru voir, dans cette mission de surveillance, l'origine de la charge de ministre plénipotentiaire, telle
qu'elle existe de façon officielle et permanente à l'époque de Marie-Thérèse et de Joseph II. La question mériterait une étude approfondie. Quoi qu'il en soit, l'intervention des diplomates
espagnols de La Haye dans les affaires belges contribua à alimenter leur correspondance.
Une troisième mission incombe encore au chef de la légation espagnole de Hollande : la direction d'un important service d'information.
On l'a rappelé ci-dessus, les Provinces-Unies furent pour l'Espagne pendant la seconde moitié du XVIIIe siècle, des allies, mais des allies peu sûrs, dont le concours fut très onéreux
et dont l'attitude parut souvent équivoque au gouvernement de Madrid. La politique hollandaise fut soumise par les agents espagnols, à une surveillance, voire à un espionnage incessant. La
trace matérielle en est restée dans les dossiers de l'ambassade espagnole. Il s'y retrouve des liasses entières d'extraits des registres des résolutions des États Généraux, de copies et de
traductions de documents de provenance hollandaise, toutes pièces que les agents espagnols se procuraient secrètement et à la dérobée pour pénétrer la politique cachée du gouvernement, auprès
duquel ils étaient accrédités. Leur correspondance avec la Cour de Madrid fourmille d'indications sur la politique hollandaise, sur les tractations des États Généraux avec l'Angleterre et le
Portugal principalement. La surveillance s'exerce tout aussi activement sur les agissements des particuliers, des commerçants notamment. On se souvient, qu'au XVIIe siècle, le gouvernement
espagnol prétend toujours réserver à ses sujets castillans le monopole du commerce avec ses possessions des Indes et qu'il prohibe toute exportation de métaux précieux. Ce monopole était
depuis longtemps purement théorique. L'Espagne était incapable de fournir aux colonies ce dont elles avaient besoin et ne produisant presque rien elle-même, ne pouvait payer autrement qu'en
métaux les marchandises qu'elle devait acheter à l'étranger. D'autre part, le mouvement d'expansion coloniale était général en Europe. Il s'organisa ainsi un vaste système de fraude, tendant
à traiter directement avec les colonies espagnoles, soit pour y importer des produits manufacturés ou des nègres, soit pour y chercher des métaux et des produits coloniaux. À ce mouvement les
Hollandais prirent une part considérable. Ce fut une raison de plus pour les ambassadeurs espagnols de La Haye, en particulier Brun et Gamarra, d'organiser leur système d'espionnage. Ils font
appel au concours d'une série de collaborateurs, consuls espagnols établis dans les différents ports hollandais, particuliers de toute espèce, juifs notamment. Ils concentrent ainsi des
informations précises et multiples sur le commerce interlope des Hollandais avec les colonies espagnoles, le départ et l'arrivée des navires, la nature de leur chargement, le trafic des
nègres, la participation secrète et coupable des autorités locales espagnoles, les agissements de la puissante colonie juive d'Amsterdam, les pénétrations hollandaises, anglaises et autres
dans l'Indoustan, la Chine, le Japon, les Philippines, bref tout ce qui concerne le mouvement d'expansion coloniale. Ces renseignements sont régulièrement communiqués à Madrid, avec l'espoir
- chimérique - que le gouvernement espagnol prendra les mesures appropriées pour éviter la continuation ou le renouvellement des abus. Entre les membres du corps diplomatique espagnol
existait un service d'information régulière et mutuelle. À La Haye affluent les rapports venant de Vienne, de Londres, de Paris, de Rome, de Venise, de Gènes, de Milan, de Naples par lesquels
les diplomates, en service dans ces villes, renseignent leurs collègues sur ce qui se passe dans les domaines politique, religieux, militaire, économique etc. Les conflits incessants en
Angleterre sous les derniers Stuarts, les hostilités dans l'Europe septentrionale entre la Russie, la Suède, le Danemark et la Pologne, les agissements du gouvernement prussien qui commence à
faire sentir son influence, l'activité française en Italie, les intrigues autour de la Curie, l'attitude du Portugal venant de recouvrer son indépendance, révolution de la question turque,
bref l'ensemble des controverses du moment tel est l'objet traite dans la correspondance de l'ambassadeur avec ses collègues.
En tenant compte de la triple mission que le gouvernement espagnol confie aux ambassadeurs députés à La Haye, gestion des rapports diplomatiques hispano-hollandais, direction des
affaires particulières belgo-hollandaises, concentration d'informations sur la politique du gouvernement hollandais, sur l'activité économique de ses sujets et sur la politique européenne en
général et dans son sens le plus étendu, on n'a pas de peine à apprécier l'intérêt que les archives de l'ambassade présentent pour toute l'histoire de la seconde moitié du XVIIe siècle.
Comment expliquer la présence à Bruxelles du fonds d'archives de l'ambassade espagnole de La Haye? Au moment où Philippe IV décida d'accréditer en permanence un agent diplomatique
auprès du gouvernement des Provinces-Unies, il se rendit acquéreur d'un hôtel destiné à lui servir de résidence. À diverses reprises, le souverain revendique l'immunité fiscale, reconnue
par le droit des gens, à la demeure des ambassadeurs. Les deux premiers titulaires moururent à La Haye ; à leur départ, les suivants laissèrent les papiers à la garde de leurs successeurs
et ainsi le fonds d'archives s'est constitué normalement. Lorsqu'en 1701 la situation se tendit entre l'Espagne et la Hollande, que les armements de cette dernière puissance ainsi que ses
tractations avec l'Empire et l'Angleterre firent apparaître comme imminente la rupture avec Philippe V et Louis XIV. Bernard de Quiros se préoccupa de la mise en sécurité de sa
correspondance et de celle de ses prédécesseurs. Au mois d'octobre il négocie à ce sujet avec le marquis de Bedmar, Alonso de la Cueva, chargé ad intérim du Gouvernement-Général des
Pays-Bas et propose d'envoyer toutes les archives de l'ambassade à Anvers ou à Bruxelles. Philippe V approuva la conduite de son représentant et donna l'ordre formel de faire transporter
les documents avec le plus de soin possible, à Anvers. Le 23 décembre de la même année 1701, l'ambassadeur annonçait à Madrid que le déménagement avait pu se faire en secret.
Une fois déposées en Belgique, les archives de l'ambassade espagnole de La Haye ne devaient plus sortir du pays. Tout à la fin de son séjour à La Haye, Bernard de Quiros se trouva en
conflit avec le principal secrétaire d'État de la Cour de Madrid, Joseph Perez de la Puente. II reçut à ce propos un blâme non dissimulé de la part de la reine Marie-Louise de Savoie,
chargée ad intérim de la direction générale des affaires. Après son départ de La Haye, au lieu de retourner en Espagne, Quiros demeura à Bruxelles. En 1706, lors de l'occupation des
Pays-Bas par les Anglo-Bataves, il abandonna le parti de Philippe V et se rallia à la cause de Charles III. Ce dernier le tira de l'obscurité, ou il végétait depuis plusieurs années, en fit
son plénipotentiaire, chargé de régler les questions de la Barrière avec les Puissances maritimes et l'établit administrateur général du Limbourg. La carrière du diplomate espagnol était
d'ailleurs bien près de finir. À la date du 27 décembre 1708, il rédigeait son testament. Il y est fait expressément mention des archives qu'il détenait par devers lui. On peut voir que ces
documents se répartissaient en trois séries distinctes. Il y avait d'abord un certain nombre de pièces se rapportant à l'ancienne ambassade de La Haye. La seconde série avait trait aux
négociations de Quiros pour le compte de Charles III. Restaient enfin des papiers personnels. Le testateur explique que les premiers documents se trouvaient tous dans un coffre, cacheté de
ses armes. Il voulait qu'on les transportât à Anvers, évidemment pour être placés la suite de ceux qui y avaient été déposes six ans auparavant. Les autres seraient remis à Diego de la
Correra, secrétaire de Charles III et official de la secrétairerie d'État et de guerre de Bruxelles. Celui-ci ferait le départ entre les papiers publics et privés : il rédigerait un
inventaire des premiers et en aurait la garde, tandis qu'il transmettrait les seconds au marquis de Campo Sagrado, cousin et légataire universel du testateur. Bernard de Quiros mourut
quelques jours après, et le 26 janvier 1709 le notaire H. Anseau, de Bruxelles, procédait à l'ouverture du testament du défunt.
Lorsqu'à la paix d'Utrecht la question de la succession de Charles II fut définitivement réglée, par le partage de la monarchie espagnole et le maintien des Pays-Bas sous la
souveraineté des Habsbourgs d'Autriche, les diplomates espagnols ne songèrent pas à émettre des prétentions sur les archives de l'ancienne ambassade de La Haye. Celles-ci demeurèrent
définitivement acquises au gouvernement des Pays-Bas. Nul ne contestera, pensons-nous, l'utilité qu'il y avait de décrire, en un inventaire systématique, le seul fonds d'ordre diplomatique
conservé aux Archives Générales.
Le fonds d'archives de l'ambassade espagnole de La Haye présenté certaines caractéristiques, qu'il convient de mettre en relief avant d'en aborder l'inventaire. Ce sera l'objet du
troisième paragraphe de cette introduction.
Tout d'abord, il y a lieu de noter que la collection se compose exclusivement de pièces isolées. Il n'existe aucun registre. Les ambassadeurs ne se sont jamais souciés de faire
transcrire les multiples de dépêches qui sortaient de leurs bureaux ou qui leur étaient adressées. Le classement de leurs papiers ne les a pas préoccupés davantage. Ils se sont contentés de
les grouper en paquets, d'après la provenance ou la destination. Il est infiniment vraisemblable qu'aucune espèce d'inventaire ou de répertoire n'en fut jamais dressée.
Le classement de ces archives ne présente d'ailleurs aucune difficulté, pourvu que l'on tienne compte de la nature des attributions dévolues aux ambassadeurs.
Brun et ses successeurs sont avant tout, les représentants du roi d'Espagne. C'est de lui qu'ils reçoivent leurs instructions. C'est à lui qu'ils font rapport sur leur activité. La
correspondance des ambassadeurs successifs avec Philippe IV, la reine Marie-Anne, régente pendant la minorité de Charles II, puis ce dernier lui-même, forme la première et la plus importante
série de l'ensemble de la collection.
Vient, en deuxième lieu, la correspondance avec les ministres du Gouvernement de Madrid. Il en est certain qui entretiennent avec la légation de Hollande un commerce épistolaire assidu.
D'autres ne le font que par intervalles. De leur cote, Gamarra et consorts adressent parfois des rapports à l'ensemble des ministres du gouvernement central, ou au moins à plusieurs d'entre
eux à la fois ; par ailleurs ils font rédiger des dépêches dont le destinataire est un seul ministre en particulier. La correspondance avec la Cour de Madrid comprend donc deux espèces de
dossiers : les uns constitués par leur correspondance générale, les autres adressées à un ministre en particulier. Telles sont notamment les dépêches ayant trait aux premiers ministres Luis
de Haro, sous le règne de Philippe IV, Don Juan d'Autriche et le comte d'Oropesa, sous le règne de Charles II.
On a signalé l'importance des relations existant entre la légation de Hollande et la Cour de Bruxelles. Il s'est constitué ainsi une volumineuse correspondance, qui forme la troisième
série du fonds d'archives. Elle se répartit facilement en trois subdivisions, suivant que les documents ont trait au Gouverneur-général des Pays-Bas, aux ministres espagnols qui l'assistent
ou aux autorités belges.
Accrédités auprès du Gouvernement des Provinces-Unies, les ambassadeurs se trouvaient dans la nécessité de correspondre fréquemment avec les autorités centrales et locales hollandaises.
Ils avaient, non seulement la gestion des intérêts généraux de la monarchie espagnole, mais se trouvaient amenés, sans cesse, à agir comme intermédiaires pour des affaires d'ordre particulier
: saisies de navires, restitutions de biens confisqués, octroi de passeports etc. On a rappelé, ci-dessus, la surveillance incessante, exercée par eux sur la conduite du gouvernement
hollandais et la documentation qu'ils ont réunie à cette occasion. L'ensemble de ces correspondances et documents forme la quatrième série de la collection.
Avec l'Allemagne et l'Italie la monarchie espagnole entretenait des relations particulières. On connaît la parenté étroite existant entre la branche espagnole et la branche allemande
des Habsbourgs. Au cours de la guerre de Trente ans, les gouvernements de Madrid et de Vienne s'étaient prêté un appui relatif. Lors de la paix de Munster, l'alliance fut un moment
interrompue et l'Espagne continua seule la lutte contre la France. L'impérialisme de Louis XIV ne tarda pas à rapprocher les deux gouvernements et, au cours des guerres qui marquent la fin du
XVIIe siècle, Espagnols et Impériaux sont à nouveau coalisés. Philippe IV et Charles II entretiennent régulièrement un ou deux ambassadeurs à Vienne. Dans la péninsule italique, les
souverains catholiques ont des possessions importantes, le Milanais, la Sicile, la Sardaigne et le royaume de Naples. A la Curie romaine, l'influence espagnole est considérable. Il y a aussi
des légations Turin, Venise et à Gênes. Le groupe constitue par les ambassadeurs à Vienne, les chefs des gouvernements du Milanais, de la Sicile, de la Sardaigne et du Napolitain, les
titulaires des légations de Turin, Venise et Gênes, forme ce qu'on appelle en langage administratif espagnol les ministres d'Allemagne et d'Italie. Les dépêches échangées entre ces ministres
et la légation de Hollande forment la cinquième série du fonds décrit ci-dessous. Elle se subdivise en cinq compartiments.
On trouve pour l'époque d'Antoine Brun et d'Esteban de Gamarra (1650-1671) des minutes de lettres adressées collectivement à tous les ministres d'Allemagne et d'Italie ; pour l'époque
de leurs successeurs (1671-1702) il y a encore de semblables minutes, mais se rapportant seulement aux ministres d'Italie. Tous ces documents sont décrits dans le premier paragraphe. La
correspondance avec l'ambassade de Vienne forme le deuxième. Puis viennent les correspondances avec les ambassades espagnoles, établies en Italie. Le quatrième paragraphe est relatif aux
dépêches échangées avec les autorités du Milanais, de la Sardaigne, de la Sicile et du Napolitain. Enfin on trouve, groupé dans un cinquième paragraphe, tout ce qui a trait a des ministres
subalternes en service en Italie.
On rencontre aussi dans le fonds de l'ambassade espagnole de La Haye, des correspondances échangées avec les légations de Londres. Paris, Berlin, Stockholm et Lisbonne. Elles sont
décrites dans le septième chapitre du présent inventaire.
Le parallélisme de la politique espagnole et de la politique allemande a amené Brun, Gamarra et consorts à correspondre avec des ministres impériaux, soit agents à la Cour de Vienne,
soit diplomates accrédites auprès des cours étrangères. Ils étaient en relations avec les consuls espagnols établis en Hollande, à Londres et à Hambourg. Ce sont là les deux séries les moins
étendues de la collection.
Il existe une quantité notable de correspondances ne rentrant dans aucune des catégories énumérées ci-dessus. Lettres à des princes et souverains, à des particuliers, à des secrétaires
de l'ambassade etc. Cette série d'ordre général trouve naturellement sa place en tête de l'inventaire.
Le fonds de l'ambassade espagnole de La Haye se compose, dans son immense majorité, d'originaux et de minutes. Les originaux sont signés et datés ; sur la couverture on trouve le nom du
destinataire, ce qui permet de les identifier sans la moindre difficulté. Bon nombre sont chiffrés soit en tout, soit en partie. Le déchiffrement accompagne souvent. Au dos des minutes, on
trouve le nom du destinataire ; elles sont généralement datées, et l'on peut ainsi en déterminer l'auteur. Il existe quelques documents non datés, particulièrement pour l'époque de Bernard de
Quiros. On a rappelé, ci-dessus, que les ambassadeurs, se sont procuré le texte de multiples documents administratifs hollandais. Ce sont les seules copies que l'on trouve dans la collection.
Les archives de l'ambassade espagnole de La Haye s'étendent d'une façon générale, sur les cinquante ans qui séparent la paix de Munster de l'éclosion de la guerre de succession
d'Espagne. Il convient de rappeler que la légation demeura sans titulaire de septembre 1684 à juillet 1687. Les agents intérimaires, qui expédièrent les affaires courantes du moment, ont sans
doute emporté leurs papiers, car il n'en reste aucune trace. Antoine Brun en s'installant à La Haye y a apporté au moins une partie des lettres qu'il échangeait depuis des années avec son
chef, le comte de Penaranda, avec qui y demeura en relations depuis. C'est vraisemblablement lui aussi qui rassembla quelques documents administratifs de provenance hollandaise, antérieurs à
l'établissement de l'ambassade. Tout cela fait partie, incontestablement, du fonds d'archives décrit ci-après.
Langues et écriture des documents
Au point de vue linguistique, on peut distinguer les pièces espagnoles, françaises, néerlandaises, italiennes et latines. L'usage de l'espagnol est le plus fréquent. Toutes les lettres
adressées au Roi, à ses ministres, au corps diplomatique espagnol, sont rédigées en castillan. Les ambassadeurs correspondent en français avec le gouvernement hollandais, les autorités
locales hollandaises, les princes et souverains étrangers, les institutions nationales des Pays-Bas, les ministres et particuliers belges. Les documents administratifs hollandais sont écrits
dans la langue du pays. Il est fait usage de l'italien dans la correspondance avec les particuliers et les ministres de cette nationalité, du latin dans quelques lettres adressées à des
ecclésiastiques.
Il y a lieu de noter pour finir que l'état de conservation des documents est généralement satisfaisant. L'encre dont on se servait à l'ambassade de La Haye était de qualité très
inférieure. Elle a fort pali, ce qui rend la consultation des minutes assez pénible. Quelques documents ont souffert de l'humidité. On a pourvu leur restauration.